Tout le monde a forcément une passion. Tout le monde a une activité en particulier qui, d'une manière ou d'une autre, lui permet de se sentir mieux. Le genre d'occupations aux multiples fonctions, que ce soit laisser le temps filer ou la colère, la tristesse, la pression. N'importe quoi. Une passion qui se métamorphose rapidement en escapade de son univers initial pour en joindre un où, enfin, rien n'importe. Où l'on peut se contenter de vivre, seulement vivre.

J'ai toujours été le genre de garçon qui touche à tout, celui qui trouve un intérêt dans n'importe quoi. Toutefois, avec le skateboard, c'est davantage une histoire d'intérêt. Je ne suis pas assez endurant pour pratiquer un sport très exigent, comme le hockey, le soccer, la course ou n'importe quoi d'autre. Je m'épuise vite, à cause de ma capacité pulmonaire réduite. Ce qui provoque parfois de véritables frustrations puisque la plupart du temps, je préfère l'action à l'inaction. Je favorise les activités physiques aux activités culturelles, manuelles ou n'importe quoi d'autre. Le skateboard s'est imposé alors telle la solution quand j'avais dans les dix ans. Ne nécessitant pas une exigence aussi importante que dans d'autres sports et démontrant certains avantages, ça ne pouvait que me plaire.

Ainsi, j'ai jamais quitté ma planche. Âgé aujourd'hui de seize ans, je ne peux me résoudre à faire une croix sur cette activité-là. Je parviens toujours à avoir des blessures mineures un peu partout à l'issue de chutes inévitables, mais jusqu'à présent, je suis toujours parvenu à me relever et ne jamais être dégoûté. Je suis du type déterminé, et franchement bien trop buté pour les nerfs de beaucoup. Quand j'ai une idée en tête, elle dure et perdure. Sans doute est-ce pour cela que je gagne en expériences et connaissances de jour en jour.

Le seul bémol : à Santa Barbara, les skate park ou autres modules ne courent pas les coin de rues. Dans ma ville natale, il y en avait un tout proche de chez moi, de quoi me combler tous les jours. Mais ici, le terrain de jeu devient vite toute la ville. Les rues, les espaces verts, les cours d'établissements scolaires... A l'heure actuelle, je me situais dans le parc. Ma sœur Rainbow était encore en cours, et il faisait trop beau pour que je puisse demeurer cloîtré dans l'appartement que nous partagions. J'arpentais tous les coins du grand parc, empruntant parfois les chemins en pente pour prendre de la vitesse et exécuter quelques tricks, lorsque les terrains plus plats commençaient à m'ennuyer. Ce qui est marrant, avec le skate, c'est qu'il peut être polyvalent. N'importe qui peut s'avérer intéressant. Les escaliers avec leur rampe, un banc, un rocher. N'importe quoi.

« Toujours sur ton skate Wellington ! »

Je me retourne et reconnais sans grandes difficultés Zach, l'ex petit ami de mon aînée. Un léger sourire se dessinant sur mes lèvres, je fais face au jeune homme avant de le saluer en cognant amicalement dans le poing qu'il me propose. Je n'ai jamais été le genre de garçon très loquace. Je suis ni extraverti, ni avenant. Dès mon plus jeune âge, je me suis dressé d'imposantes barrières pratiquement infranchissables, me refermant sur moi-même au fil des années de manière irrévocable. Pourtant, avec Zachary, j'étais un peu plus confiant. Probablement le fait que ma sœur l'aime me faisait lui accorder de la sympathie, mais même à l'heure actuelle, je continuais de penser qu'il était un type bien. Certes, je n'avais jamais su pourquoi Rainbow et lui avaient mit un terme à leur relation, j'étais même incapable de dire qui des deux avaient voulu rompre ou si c'était d'un accord commun. J'étais souverainement ignare à ce sujet, et sincèrement, bien que je n'étais franchement pas de nature curieuse, sur ce coup-là, j'adorerais en connaître la raison, bien que je sais pertinemment que ce n'est aucunement de mes affaires.

« Ça me fait plaisir de te voir ! »

Je souris doucement. Ça faisait un bail. Dès leur rupture, j'avais plus revu Zachary dans les parages. Les ponts s'étaient abattus. Pourtant, je ne pouvais être malheureux du fait de le revoir. C'était vrai que ma sœur avait été triste à l'issue de sa rupture, mais qui étais-je pour juger ? Pour jeter la faute sur quelqu'un ? J'étais inconscient, et je jugeais Zachary comme quelqu'un de bien, au risque de me répéter. Et puis, la preuve était qu'il continuait d'être sympathique. Il aurait très bien pu jouer un jeu à mon égard rien que pour les beaux yeux de ma sœur. Il était honnête, que demander de plus ?

« Moi aussi. »

Je souris de nouveau. Avec moi, faut savoir lire entre les lignes. Beaucoup pensent que je suis prétentieux parce que je ne me mêle pas aux autres. Pourtant, c'est simplement la timidité et la crainte d'être rejeté qui m'empêche de me jeter dans la foule. J'ai toujours sur-évalué pratiquement l'espèce humaine, cherchant sans relâche le bon et laissant de côté le mauvais. C'est comme certain qui me trouve froid, alors que c'est tout le contraire. Il y a qu'avec Rainbow que je ne cache pas mes émotions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, de peur encore une fois d'être critiqué ou quoi que ce soit d'autre. Mais il ne faisait aucun doute que ça me faisait très plaisir de revoir Zachary.

« Ça fait un bail ! Qu'est-ce que tu deviens ? »

« Et bien je vais à l’université en étude de commerce, ça fait deux ans que je suis ici maintenant, et toi alors ? »

Deux ans. C'est marrant que Zachary et ma sœur ne se soient pas revus à l'université durant cette période. Certes, ils n'étaient ni dans la même branche, ni dans le même bâtiment, et n'avaient probablement pas les mêmes heures, mais ils demeuraient dans la même ville. Comme quoi, le monde n'est pas si petit que ça. J'inspire profondément afin d'étouffer une toux et réponds :

« J'suis en infographie. Et j'ai hâte d'en avoir finit avec les études. »

Ce qui peut parfois paraître bizarre. La fin des bancs de l'école signifie souvent plus de responsabilités, l'entrée dans la vie active avec tout ses problèmes et son indépendance presque forcée. Pourtant, j'en ai marre d'être constamment surveillé par des institutions, je commence à étouffer entre les barreaux du cursus scolaire. Ce qui est contraire à ma recherche continuelle de liberté. Je suis impatient d'enfin pouvoir mener la vie que je souhaite de la manière que je désire. C'est pour cela que j'ai d'ailleurs travaillé assez dur pour sauter deux classes et me retrouver à l'université âgé de seize ans plutôt que dix-huit.

« Ca fait un an que vous êtes ici et c’est seulement maintenant que je vous vois, c’est bizarre quand même »

Je baisse la tête, attrapant mon skate board par une des roues, avant de répliquer :

« Ouais, enfin. Je viens d'arriver, et Rainbow est en médecine, peut-être que vos heures favorisent pas les rencontres. »

Je souris en haussant les épaules. Curieusement, tout cela me donne une petite idée tout en m'intriguant. En fait, je sais que depuis Zachary, Rainbow n'a jamais vraiment éprouvé des sentiments aussi forts pour qui que ce soit d'autre. C'est peut-être dingue qu'en petit frère je suis capable de savoir ça, mais disons que dans notre cas, on est vraiment proches. Et puis, je suis assez observateur pour remarquer ce genre de choses, bien que j'opte pour garder le silence sur ces sujets que je n'apprécie pas réellement, pour tout avouer. A seize ans, les filles me paraissent plus comme une équation à plusieurs millions d'inconnues que je ne veux pas trop me risquer à essayer de résoudre de peur de m'en prendre plein la tronche. Mais... Ce n'est pas l'essentiel en ce moment. Timidement et curieusement, j'interroge mon interlocuteur :

« Et est-ce que... Tu serais content comme tu l'es maintenant si par pur hasard tu recroisais ma sœur une deuxième fois ? »

Ouch. Discrétion : 0. Mais au moins, ça aura le mérite d'être clair...

C'était certain que mon impatience d'en finir avec les cours pouvait paraître comique dès que l'on apprenait que j'avais déjà sauté deux classes. Beaucoup se plaignent des bancs de l'école, et j'éprouve le même sentiments que ces-derniers depuis mon premier jour de classe. J'ai jamais apprécié me rendre à aucune de mes écoles, seules les classes où les professeurs étaient présents me charmaient. Mais contrairement à beaucoup, au lieu de ne rien étudier et attendre que ça passe, je me suis mit à tout faire pour que je termine rapidement. Encore aujourd'hui, bien que j'aimais davantage l'université de Santa Barbara à toutes mes autres institutions, mon rêve de liberté prenait le dessus. Un drôle de rêve, que je savais irréalisable, mais que je continuais inlassablement à entretenir.

Ce rêve ? Celui d'être, ne serait-ce qu'un jour entier, libre. De n'avoir aucune obligation. Vivre un dimanche matin comme la plupart des adolescents de mon âge. Ne faire qu'exister, un jour, seulement. Pouvoir faire tout ce que je veux, sans avoir un emploi du temps fixe dans ma tête. Ne posséder aucune contrainte, aucune obligation. Juste, la pure liberté. Je pensais qu'en quittant le système scolaire, cela me rapprocherait un peu de mon but fou, mais d'un autre côté, je sais parfaitement que ma lourde maladie ne disparaîtra pas avec l'obtention de mon diplôme. Et ensuite, ce sera le tour d'avoir un travail, qui demandera des responsabilités à son tour. En fait, dans mon cas, c'est impossible d'être libre. A moins de fuguer. Et encore là, j'aurais mes parents à mes trousses, ainsi que ma sœur.

Mais même si c'est complètement idiot de s'enfuir. Même si c'est égoïste, irrespectueux envers tout ceux qui m'aident à passer à travers ma maladie ainsi que font des sacrifices pour mon bien-être, je pense qu'il suffirait de peu pour qu'un jour, j'essaie de partir quelque part à des centaines de kilomètres d'ici et vive cette fameuse journée sans aucune attache. Un périple fou, une escapade peut-être mortelle à cause des soins alors non soumis. Mais dans ma tête, ça sonne juste comme le bonheur. Le bonheur risqué, inapproprié dans mon cas, et aussi, quasiment inaccessible.

« Et bien t’es loin d’avoir finis, enfin après je sais pas »

Je me contente de sourire faiblement, enchérissant sur les études de Rainbow et proposant une hypothèse sur le fait que les deux jeunes adultes ne se soient pas vus pendant l'année où ma soeur était présente à Santa Barbara. J'entends Zachary ajouter que la médecine est loin d'être connexe au bâtiment dans lequel il étudie et pose mon skateboard par terre afin d'étouffer une quinte de toux, après demander curieusement et timidement au jeune homme ce qu'il éprouvait pour Rainbow de manière assez vague.

« Si je recroisais Rainbow une deuxième fois, oui je serais content. On a rompu, certes, mais ça fait parti du passé » [/b]

« Mauvaise toux ». Voilà à quoi ressemble la toux d'un individu quelconque atteint de mucoviscidose. Une genre de toux alarmante quand on ne l'entend pas régulièrement. Le genre de toux qui réveille parfois les parents poules tellement ça peut paraître interminable. C'est pire que si on avait avalé de travers. Ça ressemble presque à une toux de bronchite asthmatique, sauf qu'on a réellement l'impression de se noyer de l'intérieur et qu'engloutir un bon bol d'air figure telle une utopie. Je m'appuie au muret juste derrière moi alors que Zachary s'interroge sur la raison de ma question.

« Pourquoi cette question ? »
« Juste savoir... »

Je trouve rien de plus concis à répliquer dans ma mission de libérer mes voies respiratoires pour pouvoir respirer calmement sans avoir l'air de m'étrangler. Je détourne le regard dans le but de tousser une bonne fois pour toutes, en vain. Foutu muco.

La différence entre quelqu'un de 16 ans et quelqu'un de 20 ans. La différence entre un adolescent et quelqu'un qu'on peut considérer comme un adulte maintenant. Je me demandais vraiment, c'était quoi, la différence. On me considérait souvent comme mature pour mon âge, niveau comportement. Et avec du recul, je voyais une différence de mentalité ou même de compréhension envers certains faits au fil des années. Je voyais aujourd'hui des choses différemment que lorsque j'avais quatorze ou douze ans. Est-ce que cela est dû au temps, aux expériences ? Est-ce que à chaque année, on grandit, on devient plus mature ? Est-ce que dans un an le regard que je pose sur le monde aura encore une fois évolué ? Personnellement, je l'ignore. Et j'ose difficilement me poser la question. En fait, vis-à-vis du futur, j'ose surtout me poser des questions liées à ma maladie. Est-ce que dans un an, j'aurais un ou plusieurs nouveaux traitements améliorant ou pas ma « condition » de vie. Est-ce que dans un an, les spectres d'angoisses et d'isolement que je traîne depuis des années disparaîtront. Est-ce que dans un an, je serais totalement épanoui, est-ce que j'arriverais à avoir une vie comme les autres. Ou est-ce que j'aurais toujours autant de mal à assumer mon quotidien, à me sentir coupable d'être malade, à faire des projets de mon avenir, à accepter des facettes de ma maladie qui me rendent différents des autres, intérieurement. Est-ce qu'un jour, est que dans un an, j'aurais franchit ces caps là ou j'en serais toujours au même point ? Encore une fois, je peux pas avoir de réponses, et je ne les demande pas vraiment non plus hors de mon esprit. La seule chose que je remarque, c'est que quand j'étais gamin, je me prenais bien moins la tête sur tout ça. Et aussi, que quand j'étais gamin, j'en savais moins, ce qui n'était pas vraiment négatif. Mais après, tout le monde est nostalgique de ses temps innocents de l'enfance.

« Ca va bien ? »

J'essaie de dégager mes poumons, alors que mon interlocuteur semble plus ou moins s'inquiéter de mon état, glissant une main dans mon dos pour m'aider dans ma toux. Bien. Voilà le genre d'épisodes que je haïs avoir en public, et qui, la plupart du temps, n'arrive pas en public. Alors que le jeune homme m'interroge si je suis malade, je reprends progressivement mon souffle, parvenant à emplir de plus en plus mes poumons. Le nouveau défi est de faire face à ce genre de question assez périlleuse. Ma sœur et moi mentions à pratiquement tout le monde sur ça, même si, d'un certain point de vue, c'était... Mal, hypocrite, égocentrique, égoïste. Mal.

« Non, ça va, t'inquiètes. J'me suis juste étouffé tout seul, dans un élan de génie. »

Je souris de mon sarcasme, et décide d'enchérir sur un sujet qui ferait rapidement normalement oublier cet épisode :

« Mais, si tu veux revoir Rainbow, pourquoi tu lui files pas un rencard ? »

J'inspire doucement, souriant sans réelle raison apparente. Je pose mon pied sur la planche de mon skateboard, et me dit qu'un jour, il faudrait que je me trouve un autre passe-temps côté sport. Le skateboard demande son quotas d'efforts physiques et d'endurance, mais parfois, on aime enchaîner les domaines. J'ignore ce qui serait forcément à ma portée, et je doute que quelque chose le soit autant que le skate, mais si je ne cherche pas, je ne risque pas de trouver. Et puis, il y a toujours l'espoir de récupérer plus de force pour devenir meilleur.

« D’accord ça me rassure alors, c’est la première fois que je te vois tousser ainsi, c’est pour ça, je me suis un peu inquiété »

Je souris, effectuant un trick sur ma planche, avant de rétorquer :

« T'as pas à t'inquiéter pour ça. »

J'aborde le sujet de ma sœur, qui attirera sans aucun doute l'attention de Zachary sur autre chose que ce malheureux moment. En fait, dans l'option de voir mon interlocuteur de nouveau avec ma soeur, je remarque plus de bénéfiques que de désavantages. Rainbow m'a jamais délaissé pour qui que ce soit, je ne crains pas de perdre ma soeur pour aucune de ses relations. Et même si ce serait le cas un minimum, je serais faire avec. Elle a effectué assez de sacrifices pour que je lui en soit éternellement redevable. Et puis, Zachary la rendait tellement heureuse dans le passé, que la revoir plongé dans cette euphorie merveilleuse ne pourrait être que positive. Pourtant demeure le facteur du Temps. Je n'étais au courant que de très peu de leur histoire, bien que ma soeur m'en parlait parfois. Je n'ai jamais osé lui demander des informations sur leur rupture ou quoi que ce soit d'autre, ralentissant ma curiosité par respect de son intimité, surtout que ce n'était franchement pas de mes affaires. Je lui laissais simplement le choix, si elle voulait, de m'en parler, comme beaucoup de choses entre nous.

« Ca lui ferait plaisir tu crois ? »

Je souris de plus belle, amusé de la réplique de Zachary. Au moins, je savais que d'un côté, il y en avait un qui ne serait pas contre un nouveau saut de couple. Je hausse les épaules, répliquant gentiment :

« Pour le savoir, il faudra lui demander. »

Un air malicieux passe sur mon visage, alors que j'effectue un autre trick sur ma planche. Lui demander... Peut-être bien plus facile à dire qu'à faire.